Le vingtième siècle a pulvérisé l’art, le réduisant en fragments épars — des gravats livrés au seuil du XXIᵉ siècle, comme les restes d’un monde en ruines. Rien de surprenant, après deux guerres mondiales. Mais au lieu d’interroger cette fracture, on a tenté de lui donner un nom : art contemporain. Un nom faute de verbe, faute de souffle, faute de direction.
Erreur profonde. On a cru, à tort, que l’art devait être le miroir de la société, son reflet fidèle. Mais l’art n’est pas reflet : il est contre-reflet. Non pas redoublement du réel, mais résistance au réel. Et cette confusion perdure encore aujourd’hui, alors même que l’art dit « contemporain » est mort depuis les premières années 2000, vidé de sa nécessité comme de son mystère, cherchant toujours un mot pour le remplacer.
Il est pourtant simple de comprendre que tout art véritable est, par essence, contemporain. Mais il est plus subtil d’admettre qu’il n’est jamais le reflet de son époque. L’art n’illustre pas le temps, il le trouble. L’artiste ne reproduit pas le monde : il y introduit un pli. Ce qu’il place dans le miroir de son époque, c’est précisément ce qui ne s’y reflète pas naturellement. Il ne reproduit pas : il répond.
À ce titre, il était presque inévitable — surtout avec l’émergence des technologies — que la prophétie d’Aragon (en 1965) se réalise : le collage remplace la peinture ; ou, pour être plus précis, s’en arrange. Le succès actuel — et récurrent — du collage est indiscutable. Il fallait bien recoller les morceaux de l’art « tombé », tenter une nouvelle grammaire de l’image. Mais quand les images elles-mêmes ne sont plus que fragments, quand elles se taisent ou parlent sans que leur discours fasse sens, alors une urgence renaît : retrouver les mots. Les mots justes.
Ces nouvelles Journées internationales du collage révèlent une présence accrue des mots dans l’art du collage — comme si l’art se tissait désormais d’image et de verbe. Mais ces mots, aujourd’hui, ne reconstruisent pas seulement l’art. Ils restaurent une condition : celle de penser. Comme l’encre sur une page blanche, l’art recommence dans la parole. Car à l’heure où les prompts dictent aux intelligences artificielles des images sans regard, il faut rappeler une vérité oubliée : c’est l’écriture qui permet l’imagination. Sans verbe, pas d’image. Sans pensée, pas de regard.
Alors, qu’est-ce qu’un collage, au fond ? Peut-être simplement l’image qui rejoint le verbe — ce moment où l’art peut à nouveau faire monde. Non pas en bloc, mais en nuance.
Stéphane GUIBERT Directeur artistique/commissaire d’exposition