Skip to content Skip to sidebar Skip to footer

Clémentine Ballot et Armand Guillaumin : Histoire d’une amitié

Deux pleinairistes à Crozant

Entre 1912 et 1918, on pouvait croiser dans les rues de Crozant deux peintres paysagistes transportant leurs toiles et chevalets, parfois avec l’aide d’un enfant du village que l’on surnommait “petit porteur de palette”. Le plus âgé des deux porte une barbe grise et un large chapeau de feutre. Chaussé de ses sabots, il avance avec entrain sur les chemins dont il connait par cœur les détours et les reliefs. Ce peintre, c’est Armand Guillaumin, co-fondateur du mouvement impressionniste, travailleur acharné et passionné. En raison de son expérience et de son rôle dans la naissance de l’art moderne, les artistes qui viennent dans la vallée de la Creuse voit en lui une figure de maître.

Le second peintre, qui avance à ses côtés, est une femme. Clémentine Ballot compte parmi les rares personnes qui ont le privilège de peindre avec le maitre. Née à Paris en 1876 – date à laquelle Guillaumin exposait déjà avec les impressionnistes – Clémentine a découvert la Creuse avec son mari, dont les parents étaient originaires de la commune de Naillat. Elle peint d’abord à Gargilesse, où Léon Detroy l’initie au pointillisme, avant de découvrir Crozant en 1912 et d’être présentée à Guillaumin qui fréquente régulièrement les lieux depuis 1891. Les deux artistes lient aussitôt une solide amitié qui durera jusqu’à la mort du vieil homme.

“Le registre de leurs œuvres nous apprennent qu’ils peignent souvent côte à côte. Etant donné l’obstination de Guillaumin à travailler sans témoins, cela représente une exception mémorable.”

Christopher GRAY, Armand Guillaumin, 1996
Portrait des deux peintres
Clémentine Ballot et Armand Guillaumin, peignant ensemble à Crozant en 1916. Coll. Part.

Clémentine Ballot et Armand Guillaumin partagent les même motifs, non seulement à Crozant mais aussi à Agay, dans le sud de la France, où des photographies, prises par le mari de Clémentine, les montre devant leurs chevalets. Et quand ils ne sont pas ensemble, ils correspondent régulièrement pour se donner des nouvelles de leurs familles. Durant la Première Guerre mondiale, tous deux séjournent régulièrement à Crozant où ils apprécient de se tenir à l’écart de l’agitation de la capitale. C’est une période pendant laquelle, les deux peintres ne sont pas seulement liés par l’art, mais aussi par le soucis qu’ils se font pour leurs proches. Le fils aîné de Guillaumin est blessé à la bataille de la Marne et le mari de Clémentine est également sur le front, comme photographe de guerre. Malgré tout, ils réalisent durant ces années difficiles quelques-unes de leurs plus belles toiles, dont les fameuses “gelées blanches” qui plaisent tant au public parisien.

“Le vieux peintre se lève à l’aube, enfile ses vêtements les plus chauds, se couvre de plusieurs couches de papier journal sous son pardessus pour se protéger du froid glacial et se dirige vers l’Hôtel Lépinat où il réveille Mme Ballot. Puis ils vont ensemble jusqu’au pont Charraud pour peindre une “gelée blanche”.

Christopher GRAY, Armand Guillaumin, 1996

Le coup de pouce de Guillaumin

Profitant de sa notoriété et de son influence, Guillaumin décide de promouvoir la carrière de sa protégée. Dans une lettre de 1919, il insiste auprès du galeriste George Petit pour que celui-ci prennent en considération le travail de Mme Ballot. Celle-ci finira effectivement par exposer chez le marchand d’art, ainsi que dans plusieurs autres galeries parisiennes lors d’expositions saluées par les critiques.

Décédé en 1927, Guillaumin n’a pas vécu assez longtemps pour voir Clémentine Ballot recevoir la Légion d’honneur et son travail être récompensé de deux prix de peinture. Mais il avait sût dès le début reconnaître son talent, et ne s’était pas trompé.

Pour conclure, laissons la parole à Clémentine elle-même :

“Guillaumin travaillait à Crozant. Il s’intéressa tout de suite à ce que je faisais et ne tarda pas à me proposer l’échange, contre un de ses tableaux, d’une de mes modestes toiles. C’était un paysage de Loguivy. Rien de commun avec la Creuse. Il l’accrocha dans sa salle à manger, à Paris, au milieu de ses propres œuvres préférées. Un tel honneur me confondit. Je dois beaucoup à Guillaumin.”

Clémentine BALLOT, 1956

Voir aussi : (Re)découvrir Clémentine Ballot